56 €/VL et par an ! C’est le manque à gagner moyen généré par les problèmes de boiteries dans les exploitations laitières du Bade-Wurtemberg, d’après Barbara Benz, enseignante-chercheuse à l’Université des sciences appliquées de Nürtingen. Cette évaluation s’appuie sur les résultats d’une étude à grande échelle, durant laquelle 146 élevages statistiquement représentatifs de la région ont été audités, avec notamment l’évaluation du score de boiteries dans chaque troupeau (une note de 1 à 5 est donnée à chaque animal, de 1 pour une démarche normale à 5 pour une boiterie sévère). « Les références dans la littérature scientifique indiquent comme objectif de moyenne d’étable un score de 1,4, et une proportion d’animaux avec un score supérieur ou égal à deux de 10 % au maximum. Or dans la réalité, 84 % des exploitations enquêtées avaient un score moyen supérieur à 1,4. La moyenne générale était de 1,95. » Cette situation n’est pas spécifique au Bade-Würtemberg. « à peu de choses près, ce sont des chiffres qu’on retrouve dans tous les pays producteurs de lait d’Europe occidentale », assure la spécialiste. Avec en arrière-plan les mêmes causes structurelles favorables aux boiteries, à savoir l’évolution des modes de logement (en particulier le développement des logements en logettes et en aire paillée non accumulée), des systèmes d’alimentation, la charge de travail des exploitants qui induit une baisse de la qualité des soins aux animaux boiteux et enfin les regroupements de troupeaux qui favorisent l’introduction puis la dissémination des maladies à composante infectieuse.
« Sur la base de ces scores, on estime que pour environ 50 % des animaux, les boiteries ont une incidence de l’ordre de 5 % sur les performances laitières. Ramené à des lactations de 7 500 kg, avec un prix du lait de 300 € la tonne, ce chiffre nous permet d’estimer le manque à gagner sur le revenu laitier à 56 € par vache et par an. »
Compte-tenu de ce montant élevé, il apparaît judicieux d’investir dans la prévention des boiteries. Dans un souci d’efficacité, Barbara Benz passe alors au crible les facteurs de risque qui favorisent les troubles locomoteurs, avec le prisme de « l’emploi du temps de la vache ».
« La première chose à vérifier, c’est que les vaches passent bien effectivement 12 heures couchées dans leurs logettes. Le confort de celles-ci et le bon positionnement de la barre au garrot et des arrêtoirs sont primordiaux. »
« En ce qui concerne la santé des aplombs, on se rend tout de suite compte de l’importance de la place à l’auge, en termes de temps passé. Réduire les facteurs de dégradation des onglons dans cette zone est donc un levier très efficace pour diminuer la fréquence et la gravité des boiteries du troupeau laitier. »
Et de lister ces facteurs :
Facteurs de risque pour les troubles traumatico-mécaniques |
Facteurs de risques pour les troubles infectieux |
Surcharge sur des sols durs |
Pression microbienne (hygiène du sol, introduction d'animaux malades) |
Altération de la forme de l’onglon due à des manques dans la muraille |
Humidité |
Erreurs de rationnement (ration réellement consommée !) | Stress |
Une des solutions pratiques mise en place avec succès dans plusieurs élevages du Bade-Wurtemberg et de Bavière consiste à surélever le couloir d’alimentation par l’ajout d’une dalle d’1,6 mètre de profondeur le long du cornadis. Cette dalle, haute d’une vingtaine de centimètres, est revêtue de tapis caoutchouc. Des tubulaires de séparation sont installés à intervalle réguliers (toutes les deux ou trois places) de manière à favoriser l’alignement des animaux perpendiculairement à l’auge. « Ce système a de nombreux avantages, expose Barbara Benz : le premier est de soustraire les onglons à l’humidité et au contact des déjections pendant que la vache s’alimente, ce qui représente 50 % du temps passé debout ! La surface souple du caoutchouc est plus respectueuse de la corne et limite les problèmes d’ordre mécanique »
Second avantage, un raclage plus efficace, car s’exerçant sur une surface réduite. « De plus, les vaches à l’auge ne sont plus dérangées par le passage du racleur ! » Enfin, les manifestations d’agressivité entre les animaux et d’éjection du cornadis sont réduites dans une proportion significative. « Moins de stress, une meilleure efficacité de la ration... » ajoute l’enseignante, chiffres à l’appui : le nombre de passages au cornadis diminue de l’ordre de 30 %, tandis que la durée moyenne du séjour au cornadis augmente dans la même proportion.
Pour continuer à agir sur les facteurs défavorables à la santé des pieds, le sol des couloirs de circulation et des aires d'exercices est à prendre en compte. « Seul un sol souple, capable de se déformer de 3 mm, respecte la biomécanique de la pince des onglons et permet une bonne répartition des charges, détaille Barbara Benz, radiographie du pied de la vache en main : la vache est physiologiquement faite pour se déplacer sur des sols souples. En effet, il y a un décalage naturel de 3 mm de hauteur entre l’onglon intérieur et l’onglon extérieur, ce qui permet à l’animal de sécuriser sa foulée en ancrant ses appuis dans le sol. Un sol souple évite aussi les glissades ! »
Enfin, dernier point abordé par la spécialiste, la qualité des sols en salle de traite. « L’expérience prouve que le fait de garnir le sol de la salle de traite avec un revêtement caoutchouc influence positivement la pousse de la corne des onglons, qui tend progressivement à retrouver une forme saine après quelques mois. C’est d’autant plus vrai dans les salles de traites par l’arrière, dans lesquelles les animaux doivent effectuer des demi-tours dans un espace restreint, ce qui génère de fortes contraintes mécaniques au niveau des onglons. »